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Ce qui s’est passé et pourquoi c’est un tournant

Fin septembre 1966, les habitants de Kiev ont pour la première fois depuis un quart de siècle commémoré indépendamment à Babi Yar. Le 24 septembre — une petite action silencieuse (environ cinquante personnes), le 29 septembre — déjà des centaines. Ainsi a commencé la mémoire «populaire» de la ville, restituant les noms à l’endroit où les 29-30 septembre 1941 les nazis ont fusillé environ 34 000 Juifs en deux jours, et où, au total, environ 100 000 personnes ont été tuées dans le ravin pendant l’occupation. C’était un tournant : la mémoire initiée par les citoyens a devancé et forcé à changer la version officielle et impersonnelle de l’histoire.

L’histoire du rassemblement et ses conséquences ont été racontées le 29 septembre 2025 par l’édition ukrainienne radiosvoboda (ukr.) – il y a beaucoup de photos ici.

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Prélude : le ravin comblé et la catastrophe de Kurenivka

1961 : une vague de boue comme « vengeance de Babi Yar »

Les années d’après-guerre à Kiev ont été marquées par l’effacement systématique des traces du crime : le ravin a été comblé, une autoroute a été construite à proximité, et les anciens cimetières juif et karaïte ont été détruits pour de futures constructions.

Le 13 mars 1961, un barrage de terre contenant des déchets liquides d’une briqueterie a cédé, et une vague de quatre mètres de boue a frappé Kurenivka. Selon diverses estimations, de 145 à 1 500 habitants de Kiev ont péri — la tragédie a été appelée dans la mémoire populaire « la vengeance de Babi Yar ».

C’est après ces événements que le jeune habitant de Kiev, Emmanuel (Amik) Diamant, a pour la première fois « vu » le ravin à l’été 1961 : un mélange bouleversé de terre et d’os humains. Il a commencé à filmer ce qui se passait, et ces images ont constitué, en fait, des témoignages uniques de l’état du ravin au début des années 1960.

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Point de rassemblement personnel : « je suis le seul responsable »

De la ligne d’Evtouchenko à l’action

À la même époque, Diamant entend une lecture publique de Evgueni Evtouchenko — avec la ligne « Il n’y a pas de monuments au-dessus de Babi Yar ». Sa réponse est dure et honnête :

« Il y avait beaucoup de pathos… Mais Evtouchenko m’a aidé à comprendre l’essentiel : je suis le seul responsable ».

C’est là le tournant : ne pas attendre la permission de quelqu’un, mais rendre la mémoire par sa propre action.

Comment le premier rassemblement a été préparé

Tissu, peinture noire et « bouche à oreille »

Pour le 25e anniversaire de la tragédie, à l’automne 1966, Diamant décide d’agir. Il achète un tissu blanc et de la peinture noire, écrit une affiche en russe et en hébreu (il ne maîtrisait presque pas le yiddish et l’hébreu). Le texte est aussi direct et inoffensif qu’inévitable :

« Babi Yar. Souviens-toi des six millions ».

« Rassemblement honteux de nationalistes juifs et ukrainiens » : en 1966, le premier rassemblement a eu lieu à Babi Yar
« Rassemblement honteux de nationalistes juifs et ukrainiens » : en 1966, le premier rassemblement a eu lieu à Babi Yar

Les invitations commencent littéralement « dans les files d’attente et les trolleybus » — de personne à personne, sans affiches ni annonces.

La motivation est articulée sans détour : « Le principal motif était la dignité nationale blessée ». Il ne faut pas permettre que la douleur juive se dissolve dans la formule impersonnelle des « victimes du fascisme ».

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24 septembre 1966, 17h00 — le silence comme action

Environ cinquante personnes se rassemblent près du mur du cimetière juif détruit. Aucun slogan, aucune revendication — juste une présence, des bougies, une affiche. Et — l’apparition soudaine de deux voitures avec des équipes de tournage : la « Ukrkinochronika » de Kiev et le « Naouchfilm » de Moscou. Une partie des gens est effrayée par les caméras et se disperse ; c’est à ce moment-là qu’un inconnu se faufile dans le petit groupe restant et pose de courtes questions :

— « C’est toi qui as fait ça ? »
— « Pas moi ».
— « As-tu peur ? »
— « J’ai peur ».

L’inconnu s’avère être l’écrivain Viktor Nekrassov. Il dit simplement : « Il faut parler », et laisse son adresse et son téléphone. Ainsi apparaît le vecteur vers la deuxième date — l’anniversaire civil du 29 septembre.

Les images qui ont survécu aux perquisitions

L’opérateur de Kiev Edouard Timlin parvient à cacher 80 mètres de pellicule (environ une minute et demie) — et conserve la bobine jusqu’en 1991. Ce geste seul suffirait à comprendre : la mémoire « brûle » tant au niveau des gens qu’au niveau des faits.

Deuxième rassemblement : parole et solidarité

« Venez, Nekrassov sera là »

29 septembre, 17h00. Une formule orale d’invitation circule à Kiev : « Venez, Nekrassov sera là ». L’écrivain lui-même « est au téléphone », appelle des amis — même à Moscou ; une note est transmise au critique littéraire Ivan Dziouba. Des centaines de personnes se dirigent vers le ravin — pour la première fois en 25 ans après les massacres de 1941. Le tournage documentaire est maintenant assuré par Garik Jourabovitch. La technique de conspiration est simple : la pellicule n’est pas déroulée jusqu’au bout, les morceaux sont cachés dans les poches — « en cas d’arrestations ».

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Discours de Dziouba et cris dans la foule

Nekrassov et Dziouba apparaissent — une demande de parole émerge naturellement. Il n’y a pas de microphones, tout le monde n’entend pas, mais le sens est très clairement fixé.

Ivan Dziouba : « Le silence ne parle que là où tout a déjà été dit. Quand rien n’a encore été dit, le silence devient complice du mensonge et de l’absence de liberté ».

À plusieurs endroits, des gens montent sur les épaules et crient :

« Les Juifs ne doivent pas avoir peur ! Il faut parler de l’antisémitisme ! »

Plus tard, l’écrivain Vladimir Voïnovitch formulera son choc de ce qu’il a vu :

« C’était la première fois que je voyais un rassemblement absolument spontané, non contrôlé par le pouvoir soviétique ».

Parmi ceux qui sont venus ce jour-là se trouve Dina Pronitcheva, l’une des rares survivantes du 29 septembre 1941 ; elle est connue des lecteurs comme l’héroïne du roman documentaire « Babi Yar » d’Anatoli Kouznetsov.

« Civils », mais sans dispersion

La police et le KGB sont présents en civil, observent, enregistrent, mais il n’y a pas de dispersion violente. Dans la foule, beaucoup remarquent des informateurs. Après une heure et demie, Diamant part avec sa femme et sa petite fille et formule l’essentiel :

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« L’essentiel a été accompli… Nous avons appris à être une nation à partir d’un “ramassis”. Nous avons appris à respecter nos tombes ».

Comment le système a répondu et ce qui s’est passé ensuite

Stigmatisation, réprimandes, « préventions »

La formule officielle qui stigmatise les participants et le fait même des rassemblements est littéralement : « rassemblement honteux de nationalistes juifs et ukrainiens ». Il y a des réprimandes sévères, des licenciements, des entretiens « préventifs », des saisies de pellicules, des noms mis sous surveillance. Mais il est déjà trop tard : les rassemblements annuels de septembre à Babi Yar deviennent une tradition.

Émigration de Diamant et mémoire soviétique « universelle »

En mars 1971, Diamant reçoit 10 jours pour partir — il quitte l’URSS et part pour Israël, emportant avec lui les matériaux survivants, y compris les films de Jourabovitch du deuxième rassemblement. La décision soviétique tardive de mémorialisation ne résout pas les problèmes : en 1976, un monument général « aux victimes du fascisme » est érigé (sans accent sur les victimes juives), et en 1980, un parc est aménagé à l’emplacement du ravin comblé.

Déjà dans l’Ukraine indépendante, l’espace de mémoire se compose d’environ 25 signes disparates — un long chemin vers une conversation cohérente et honnête sur la tragédie et ses destinataires.

Cadre historique et faits (rassemblés en un seul endroit)

  • 29–30.09.1941 — environ 34 000 Juifs fusillés en deux jours ; pendant les années d’occupation — environ 100 000 tués dans le ravin.
  • 13.03.1961 — rupture du barrage avec des déchets liquides ; vague jusqu’à 4 m, victimes 145–1 500 (différentes estimations) ; événement dans la mémoire urbaine — « vengeance de Babi Yar ».
  • 24.09.1966, 17h00premier rassemblement silencieux (~50 personnes) ; affiche : « Babi Yar. Souviens-toi des six millions » ; équipes de tournage de « Ukrkinochronika » et « Naouchfilm » ; Edouard Timlin sauve 80 m de pellicule et conserve la bobine jusqu’en 1991.
  • 29.09.1966, 17h00deuxième rassemblement (des centaines de personnes) ; formule d’invitation dans la ville — « Venez, Nekrassov sera là » ; discours de Viktor Nekrassov et Ivan Dziouba ; tournage documentaire — Garik Jourabovitch ; parmi les présents — Dina Pronitcheva ; évaluation ultérieure de Vladimir Voïnovitch sur la spontanéité du rassemblement, « non contrôlé par le pouvoir ».
  • 1971Emmanuel (Amik) Diamant émigre en Israël, emportant les matériaux survivants.
  • 1976 / 1980 — monument soviétique sans mention des Juifs ; parc à l’emplacement du ravin comblé.
  • Ukraine indépendante≈25 signes commémoratifs, rassemblements annuels en septembre.
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Pourquoi c’est important — pour l’Ukraine et Israël (aujourd’hui)

Cette histoire ne concerne pas seulement le passé, mais aussi la manière d’être une société. À Kiev en 1966, sans autorisations ni microphones, les gens ont nommé la tragédie par son nom, et la solidarité des intellectuels juifs et ukrainiens est devenue la norme, et non l’exception. Pour les Israéliens, c’est une partie du pont diasporique : des figures du niveau de Diamant finissent par lier leur destin à Israël, sans perdre le lien avec Kiev-Babi Yar. Et pour nous tous, c’est un rappel : là où la mémoire est précise et honnête, il est plus difficile d’attiser la xénophobie et de réécrire l’histoire.

FAQ

Pourquoi y a-t-il eu deux rassemblements — le 24 et le 29 ?

Parce que le 29 septembre 1941 tombait sur Yom Kippour, et 25 ans plus tard, la date « religieuse » de la mémoire selon le calendrier juif est tombée le 24 septembre 1966 ; la deuxième — la date civile du 29 septembre. Les deux rassemblements concernaient la même chose : restituer à cet endroit la tragédie juive dans la mémoire historique commune de Kiev.

Que s’est-il passé exactement le 24 septembre ?

Ils ont accroché une affiche « Babi Yar. Souviens-toi des six millions » au mur du cimetière juif détruit et se sont tenus en silence. C’était une forme de déclaration, et non un « format » de rassemblement : montrer que c’est notre tombe, et la nommer.

Que disait-on le 29 septembre ?

L’idée clé — du discours d’Ivan Dziouba : le silence, tant que la vérité n’est pas prononcée, est complice du mensonge et de l’absence de liberté. Dans la foule, on entendait des appels « Les Juifs ne doivent pas avoir peur ! Il faut parler de l’antisémitisme ! » — c’était le sens de la deuxième action.

Comment les autorités ont-elles réagi ?

Stigmatisation « rassemblement honteux de nationalistes juifs et ukrainiens », réprimandes, licenciements, « préventions », saisies de pellicules. Mais les rassemblements annuels de septembre n’ont pas été arrêtés : la tradition s’est formée.

«Позорное собрание еврейских и украинских националистов»: в 1966 году состоялся первый митинг в Бабьем Яру

Conclusions en quatre lignes (pour les pressés)

  1. Septembre 1966 a lancé la mémoire citoyenne de Babi Yar.
  2. La précision des noms et des dates est une protection contre la falsification future.
  3. La solidarité des Juifs et des Ukrainiens est devenue une réalité, et non un slogan.
  4. L’histoire de Babi Yar est un pont Kiev ↔ Israël, une partie de l’expérience commune de la dignité.
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